Brume

chant lexical : fantasmagorie, pudeur, ombres, idéogrammes, silence, page blanche, souffle, torpeur, possibles, Entre-Monde.

"Pas un soupir, pas un souffle... Tout s'étouffe et s’emmitoufle..." Je me souviens de cette poésie de Francis Yard, apprise en primaire... Elle évoquait la neige...

La brume, comme la neige, atténue les sons. Cependant, dans la brume, existe un souffle provenant d'un Entre-Monde où se mêlent respiration des vivants et nimbes des trépassés.

Y flotte une odeur de sève fraîche, d'eau vive, d'humus et de moisissure. L'équilibre du monde, d'ordinaire pudique, palpite sous ce paravent de brume. Vie et mort, noir et blanc, ténèbres et lumière, yin et yang.

En voiture, la brume m'angoisse. Elle semble vorace, avide de silence, prête à dévorer le bruit insolent du moteur... et les passagers par la même occasion.

Mais lors de promenades à pied, elle m'apaise. On peut s'y cacher et, immobiles, admirer ses secrets. On y dessine, comme sur une page blanche, nos propres mystères et fantasmagorie pour qu'ils se fondent à ceux de la nature dans une paisible harmonie.

Des ombres fragiles se dénudent, ne révélant que rarement leurs couleurs comme pour nous inciter à explorer l'invisible, à dessiner l'indicible. Une passerelle vers tous les possibles !

Les arbres se métamorphosent en idéogrammes empreints de sagesse et de sérénité...

Des histoires ressurgissent...

D'autres s'écrivent, chemin faisant, entre ciel et rivière...

Soudain un martin-pêcheur déchire le brouillard tel un petit messager du soleil, dont il a accroché la lumière dans son plumage bleu.

L'oiseau libre et rebelle, aux allures de créature légendaire insaisissable, nous met face à notre propre liberté. A-t-elle suffisamment de couleurs pour capter le soleil ? Suffisamment d'énergie pour briller dans la pénombre ? Avons-nous seulement conscience de sa présence ?

Et si, à notre tour, nous fendions la brume pour délivrer le message d'eurythmie que certains hommes ont réduit au silence de l'Entre-Monde...